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Rennes Libertaire
31 mars 2005

ENTRETIEN : LA CAMERA DANS LES MURS

Bénédicte Pagnot a encadré la co-réalisation de La Mouette, entièrement écrit, tourné et monté à la maison d'arrêt de Brest. Nous lui avons demandé de nous faire part de son expérience.

Alternative libertaire : Comment le projet a t'il été monté ?

Bénédicte Pagnot : Au départ c'est un projet de Côte-ouest et du service socioculturel de la maison d'arrêt de Brest. Cela fait plusieurs années, qu'il y a une projection de films à la maison d'arrêt, pendant le festival de Brest, avec des réalisateurs qui sont présents. Les gens aussi bien de Côte-ouest que de la maison d'arrêt se sont dit, c'est bien qu'ils voient des films et rencontrent des réalisateurs, mais ce qui serait mieux c'est qu'ils sachent comment on fait un film. Le problème c'est que l'audiovisuel, ça coûte très cher et ils ont mis pas mal de temps à trouver les financements. Et l'an dernier ils ont trouvé les financements et ils m'ont proposé de faire ça. Une affiche a été posée à la maison d'arrêt qui annonçait l'atelier court-métrage. Il n'y a pas eu énormément de monde à s'inscrire, pour diverses raisons : certains détenus sont en lien sur une affaire et n'ont pas le droit de se retrouver ensemble, il y en a aussi avec qui il est impossible de travailler et c'est dommage car ils se retrouvent… pas interdits d'atelier, mais presque. On a fait une réunion de présentation où seuls trois mecs étaient là. Un quatrième était intéressé et n'avait pas pu venir, mais était là le lendemain. Donc j'ai démarré l'écriture avec ces quatre là et un mec qui était dans la cour et qui a vu ce petit groupe et qui est venu nous voir et qui s'est ajouté au groupe.

AL : Le thème du film est l'isolement et la rupture du lien familial. Ce sont les détenus qui l'ont choisi ?

B. P. : Au départ il n'y avait rien d'imposé. On pouvait faire une fiction ou un documentaire, un film lié à la prison ou tout autre chose. C'est eux qui ont vraiment eu cette envie là. Il m'ont dit " c'est là qu'on vit ", un détenu m'a dit " ça fait dix ans que je traîne de prison en prison, je ne vois pas de quoi je pourrais parler d'autre ". Après chacun a eu des envies d'histoires et j'ai essayé qu'on se mette d'accord pour faire une seule histoire avec leurs envies à eux, que chacun se retrouve dans le film sans que ce soit un patchwork qui ne raconte rien. Il y a eu de temps en temps de petites tensions, mais globalement ça s'est très bien passé.

AL : L'atelier cinéma de la Maison d'arrêt va être reconduit ?

B. P. : Ils vont essayer de le refaire. Là on a eu trois jours d'écriture, une journée de préparation du tournage, cinq jours de tournage et quatre jours de montage. Sachant que les journées d'écriture et de tournage c'est sur des horaires " prison ", il faut pas s'endormir ! On avait 2 heures le matin et 2h30 l'après-midi, mais comme l'histoire est relativement simple et qu'il n'y avait qu'un lieu de tournage, ça a été.

AL : Un maton apparaît dans le film. C'est un détenu ou un " vrai " maton ?

B. P. : Non, non, c'est un vrai ! C'est vrai que ce surveillant là, comme l'ensemble de l'administration pénitentiaire, a eu un peu peur du bordel au début ; et très vite ils se sont rendus compte que ce qu'on faisait c'était sérieux et que les détenus étaient à fond dedans. Donc tout le monde a joué le jeu, et pas tous les surveillants, mais particulièrement celui qu'on voit dans le film. Par ricochet, c'était bien pour tout le monde, il avait un autre rapport avec les détenus.

AL : Comment avez-vous réalisé le montage à la maison d'arrêt ?

B. P. : Au départ, on devait le faire à l'extérieur de la maison d'arrêt. L'idée était de prendre la cassette au milieu du montage et d'aller la montrer aux détenus en leur demandant ce qu'ils en pensaient. Mais quand tu n'as jamais fait de montage, tu ne peut pas dire grand chose sur le choix des plans, ça ce n'est faisable que quand tu tripotes ! donc finalement le monteur était vraiment d'accord avec moi et on a réussi à trouver un accord avec la maison d'arrêt pour qu'il puisse rester sur l'heure de midi. Ce qui fait que le banc de montage a aussi été installé dans la maison d'arrêt. Les mecs ne sont pas venus tout le temps parce qu'ils n'avaient pas bossé pendant les jours de tournage et ils avaient perdu de l'argent. Mais ils sont passés au montage une demi-heure ou une journée.

AL : Certains ont manifesté l'envie de continuer dans l'audiovisuel à leur sortie ?

B. P. : Il y a William qui joue le codétenu, ça lui a vraiment plu d'être devant la caméra, et lui avait envie à sa sortie d'essayer de jouer dans des films courts. Le problème c'est que je trouvais super qu'il ait cette envie là, mais il y a aussi des milliers de personnes qui sont sur les rangs, et ça pouvait être aussi décevant pour lui. Je l'ai mis en contact avec des gens qui font du casting. Mais malheureusement il a pas donné de suite... mais c'est con parce qu'il est sorti très vite après la fin du film.

AL : Le film a été projeté à la maison d'arrêt, quelles ont été les réactions des détenus ?

B. P. : C'était sportif ! (rires). Ca m'a fait un drôle d'effet, les mecs sont tous fouillés à l'entrée de la salle de spectacle, regroupés par unités… Après, une projection en milieu carcéral, c'est un bordel monstre ! Et là, on a eu des moments de silence et ça voulait dire que le film avait marché. Dans le débat ensuite il y a eu des réactions très négatives et d'autres très positives. Les réactions négatives c'était que plusieurs détenus trouvaient que l'on donnait une image de la prison trop belle, trop propre... et les mecs se sont engueulés entre eux parce que Brest c'est un palace par rapport à ceux qui étaient déjà allés à Fleury ou ailleurs. L'autre reproche qui a été fait, c'est qu'on a pas parlé de la surpopulation carcérale, parce que le choix qu'on avait fait c'était l'aspect isolement, coupure familiale, etc. un mec était vraiment furieux que le film ne serve pas à dénoncer des conditions de détention. Mais ce n'était pas le thème choisi collectivement, et pour tous le plus dur c'était d'être séparé de leur famille. Ce n'est pas un film militant au sens où on l'entend habituellement, mais la vie même d'un détenu, la souffrance intérieure, ce sont des thèmes qui sont rarement abordés et on se coupe parfois des réalités humaines. Faire ressentir à des spectateurs de l'extérieur ce que tu vis quand on te met là permet d'aller plus loin. Et quand on te parle d'insalubrité, de surpopulation, tu as déjà un peu ressenti ce truc intérieur. Et c'est un des détenus qui a eu cette idée là, qui m'a bien plu parce qu'on sortait du cliché. Et à la projection, il y a eu à l'inverse des types super émus, il y en avait un qui pleurait, qui ont pris la parole et qui expliquait que pour lui la souffrance de la détention c'était ça. C'était la coupure avec sa famille, et il était content que ses collègues détenus aient fait ce film là et que le film soit vu à l'extérieur pour que les spectateurs puissent comprendre -et vivre un peu- cette réalité là.

Propos recueillis par A. Doinel
au Festival européen du film court de Brest.

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